UN COMPAGNON CHARPENTIER TOURANGEAU
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Charpentier est le métier que mon grand-père paternel Gaston Courtois a exercé toute sa vie.
C'est à Château-Renault où il est né qu'il entre à 21 ans chez les Compagnons du Devoir de Liberté
Il devient ainsi "Enfant de Salomon" et fait son tour de France pendant 7 ans.
Le nom symbolique du compagnon se compose de deux éléments. Le premier, la province ou le lieu d'origine et le second une qualité que le jeune possède. Ce sont ses pairs qui décident du trait de caractère a accorder après l'avoir longtemps observé et jugé.
Le nom de compagnon de Gaston Courtois est "Tourangeau la colonne du Temple" en référence aux colonnes du Temple de Jérusalem construit par Salomon.
Sans le Tour de France, le Compagnonnage n'a pas de raison d'être. Depuis son origine le Compagnon est "un noble voyageur", un passant qui parcoure les routes, son bâton en main, allant de ville en ville à la découverte du métier et des hommes. Jusqu'au 20e siècle, la durée du voyage variait selon le métier, elle se situait entre deux et sept ans. Le jeune itinérant passait par un certain nombre de villes obligatoires où le Devoir était présent. L'ouvrier voyageait seul ou avec des amis, portant sur l'épaule sa canne à laquelle était accroché un balluchon surnommé la malle à quatre noeuds.
Un apprenti débutant ne pouvait effectuer son Tour de France, car il fallait savoir travailler correctement afin de gagner sa nourriture durant les longs trajets qui séparaient parfois deux ville du Devoir.
A Marseille le 1er septembre 1898, mon grand-père est reçu au premier état dans le grade d'apprenti.
Le 29 avril 1900 il est reçu à Lyon au 2e état.
C'est à Tours le 19 mars 1906 qu'il reçoit le grade de Maître.
Une origine mythique
D'après le Livre du Compagnonnage, l'origine serait issue des confréries de métiers depuis le XIIIe siècle.
Le Compagnon reconnaît trois fondateurs principaux ; il forme plusieurs Devoirs et se divise en un grand nombre de sociétés.
Le roi Salomon est le fondateur historique, les deux autres, maître Jacques et le Père Soubise sont totalement mythiques. Avec ces trois fondateurs, le Compagnonnage affirme sa triple origine : biblique (Salomon), chevaleresque (Maître Jacques) et monastique (le Père Soubise).
La légende de Salomon a pour point de départ la Bible et la construction du Temple devant protéger l'Arche Sainte.
Salomon et Hiram étaient les architectes du Temple de Jérusalem, pour obtenir une discipline parmi tous les ouvriers participant à la construction du Temple, ils attribuèrent à chacun, une assignation pour se faire payer et un mot de reconnaissance suivant le grade dans le métier. Lorsqu'un ouvrier était habile, il était conduit dans le souterrain du Temple avec les autres compagnons et Hiram procédait à son initiation, à sa réception et lui donnait le nouveau mot de passe permettant de toucher un salaire plus élevé. A partir de là, le compagnonnage est né.
Trois ouvriers, Holem, Sterkin et Hoterfut qui avaient été refusés à leur maîtrise par Hiram, décidèrent de l'assassiner s'ils n'obtenaient pas le mot de passe.
Pour les Charpentiers il y avait deux sociétés :
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La Société des Compagnons Charpentiers Passants Bons Drilles du Devoir (Enfants de Soubise)
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La Société des Compagnons Charpentiers du Devoir de Liberté (Enfants de Salomon ou Indiens) à laquelle appartenait mon grand-père.
Ses lieux de réunions sont des "cayennes", ses membres des "coteries".
En, 1945, elles fusionnèrent pour donner :
La Société des Compagnons Charpentiers des Devoirs du Tour de France,
La Cayenne et la Mère
Les Cayennes sont en quelque sorte de grands hôtels, des "auberges" avec chambres, restaurant, et dans la majeure partie des cas bibliothèque, musée, ateliers et salle de cours. Le compagnon y est hébergé durant le temps qu'il lui faut pour atteindre son objectif de perfectionnement.
La Cayenne est dirigée par une "Mère", le plus souvent épouse de compagnon, et est soumise à une discipline très stricte, cependant l'on n'y trouve aucune clé ni serrure aux portes ni aux placards afin de ne pas laisser planer le moindre doute quant à l'honnêteté absolue des Compagnons. Un président, ou prévôt, administre la cayenne aux côtés de la mère et procède aux initiations, secondé par le "Rouleur" qui tient les registres.
A la fin de son séjour dans chaque cayenne, le compagnon doit présenter une maquette dont la confection réunit toutes les difficultés techniques qu'il veut démontrer pouvoir résoudre. C'est le fameux "chef-d'oeuvre".
Au-dessus de mon bureau trône un diplôme à son nom honorant la mémoire des "Indiens" morts pour la France durant la guerre 1914-1918 et ci-dessous la base de son chef-d'oeuvre.
Le Compagnon ne réalise pas son chef-d'oeuvre pour lui mais pour son Compagnonnage. C'est un véritable don gratuit du Compagnon envers la communauté en remerciement de tout ce qu'elle lui a appris et apporté. Le chef-d'oeuvre restera dans la maison des compagnons et rentrera dans l'anonymat parmi les autres. Encore une épreuve initiatique qui concerne l'orgueil et la fierté du Compagnon.
La partie supérieur du chef-d'oeuvre de mon grand-père a été offert au musée de Tours, elle pouvait ressembler à ce dessin.
Tous les chef-d'oeuvre ont été réunis au musée du compagnonnage à Tours.
D'après la photo ci-dessous, mes grand-parents se rendaient aux réunions annuelles organisées au siège social des Compagnons à Tours, on les voit avec d'autres membres de la famille tout en haut, à partir de la droite, 1er mon grand-père, 2e ma grand-mère Elise Voyer, 6e ma grande-tante Angèle Courtois et 10e mon arrière-grand-père Alexandre Emile Courtois. La "mère" est la seule femme assise au premier rang.
J'ai très peu connu mon grand-père, j'avais 5 ans à sa mort mais je me souviens d'avoir fouillé, plus tard avec ma sœur, dans ses affaires que ma grand-mère gardait précieusement dans un placard. Nous regardions respectueusement sa canne et son chapeau haut de forme que l'on appelle aussi gibus car il se repliait ainsi que ses rubans ou "couleurs" dont la teinte et les motifs varient selon les métiers, les grades, les villes et les époques, je ne me souviens pas précisément de leurs couleurs mais leur matière ressemblait à de la soie, cela me semblait mystérieux.
J'ai appris plus tard que les compagnons charpentiers du Devoir de Liberté, portaient les couleurs blanche, verte et rouge à la boutonnière gauche. La blanche est brodée de symboles, elle représentent la pureté d'Hiram ; la rouge, le sang versé pour lui et la verte, l'acacia de sa tombe. Les rubans étaient longs et larges. Ces couleurs sont de véritables cartes d'identité.
Maman m'a confié ses anneaux d'or (symbole de pureté) qui sont appelés des joints, ils étaient portés autour du lobe des oreilles, auxquels étaient parfois appendus les outils caractéristiques du métier, ce qui n'est pas le cas pour ceux de mon grand-père. Porter ses joints était une manière d'afficher son appartenance aux Compagnons, et de s'engager solennellement à adopter une conduite exemplaire. Pour arborer les joints, il faut avoir au moins cinq ans de compagnonnage. Il est parfois nécessaire de demander l'accord des instances nationales. Les joints sont délivrés au compagnon pendant la cérémonie du jointage, jointoyage ou jointoiement selon les corporations.
Quant à sa canne, je la revoie très fine et longue. Comme dans le passé, les cannes compagnonniques sont très souvent en jonc comme celles de Maître Jacques et Hiram. Chaque canne a un grand bout ferré à son extrémité, décoré ou non, son pommeau est soit en ivoire, en corne, en laiton ou en bois selon le rite du compagnon.
Sur le pommeau hexagonal ou parfois octogonal ou rond, se distingue toujours une pastille en métal (laiton ou argent) ou en ivoire, sur laquelle sont gravés le nom et le métier du Compagnon, son rite, la date et la ville de réception, quelques lettres symboliques, l'équerre et le compas accompagnés d'un outil représentatif de la profession.
Toutes les cannes sont ornées de deux glands en forme de pompon dont les couleurs varient selon le métier et le Devoir (noir, blanc, bleu et blanc). Une légende non validée expliquerait la présence des trois parties distinctes de la canne : le pommeau serait le symbole du maillet avec lequel Holem frappa Hiram, le jonc représenterait la règle qui fut utilisée par Sterkin contre l'Architecte, enfin le bout ferré évoquerait le levier que prit Hoterfut pour tuer le Maître.
Selon l'usage du Devoir De Liberté, cette canne se porte la main sous le pommeau.
J'ai retrouvé deux photos prises à Bordeaux, de compagnons ayant fait probablement leur tour de France avec mon grand-père.
Entres autres sources :
Jean-François MALTHÊTE "Parisien Prêt à Bien Faire" Compagnon Menuisier Du Devoir De Liberté permanent du Musée-librairie du Compagnonnage, 10, rue Mabillon 75006 Paris, ancien siège des "Indiens".