Histoire d'une maison rurale icaunaise de 1885
Nous avons trouvé notre maison en juillet 2002. Ce fut un véritable coup de coeur, la maison et le jardin nous ont séduit par leur romantisme. Elle est située à l'angle d'un chemin qui mène au bois et de la route principale.
Cet été, j'ai découvert par hasard que notre maison avait été construite par les ancêtres d'un cousin éloigné. Aucun de nos aïeux n'était passé par là.
En 2003, voulant connaître l'histoire de notre nouveau nid, nous avons recherché tous les propriétaires nous ayant précédé.
- La personne qui nous a vendu la maison l'a acquise en juillet 1993 à :
- des marchands de biens qui l'ont achetée en février 1993 à
- Mauricette Jeannine Cartereau qui en avait hérité de son père le 23 novembre 1952 :
- Maurice Louis Cartereau époux de Marcelle Brisson qui l'avait reçue en 1935 de son père :
- Emile Cartereau époux de Pauline Brisson qui a construit la maison en 1885.
J'ai classé cette généalogie et l'ai oubliée.
En 2006, Michel Pignal, un cousin éloigné, que je ne connaissais pas, lié par son père à ma famille paternelle savoyarde, me contacte grâce à geneanet, en me révélant que sa branche maternelle était originaire de Brannay et villages alentours. Etant sur place j'ai entrepris de rechercher son ascendance pour arriver au couple Jean Pierre BRISSON et Marie Anne POYEN ses sosas 48 et 49 de Brannay.
C'est en recherchant, l'année dernière, dans mes dossiers les recensements de population de notre hameau que j'avaisi relevés aux AD à Auxerre en 2003 que je découvre que Jean-Pierre Brisson, tuilier âgé de 21 ans et Marie Anne Poyen âgé de 44 ans habitaient dans notre hameau à Champjean en 1836 avec leurs six enfants :
- Louis Pierre, tuilier âgé de 21 ans
- Victoire âgée de 19 ans
- Célestine âgée de 15 ans
- Aline âgée de 13 ans
- Virginie âgée de 10 ans
- Marie Clotilde âgée de 6 ans
Que leur aîné Louis Pierre né à St Sérotin s'était marié avec Marie-Louise Barbier et avaient eu 2 filles :
- Marie Anne
- Pauline mariée à Emile Cartereau, le couple qui, propriétaire d'une grande partie des terres du hameau, avait construit notre maison sur la parcelle 1267 qui faisait partie du bois de la Grande Borne
On ne peut pas dire que notre maison est une maison de famille telle qu'on l'entend habituellement mais c'est bien une maison qui vient d'une famille liée à la nôtre, c'est peut-être pour cela que nous nous y sentons si bien.
Emile qui a été propriétaire d'une tuilerie à Brannay, a bénéficié de tous les matériaux pour construire sa maison.
La terre de Champjean est argileuse et on trouve de nombreuses mares remplies d'eau de pluie qui viennent des anciens puits d'extraction de l'argile au siècle dernier. Emile n'a pas comblé la nôtre qui fait 12x6 mètres actuellement mais d'après le plan cadastrale napoléonien, devait s'étendre jusqu'à la parcelle suivante. Elle a été coupée pour construire le chemin de la grande borne, puis comblée par les propriétaires de l'autre parcelle.
La maison est une longère traditionnelle de la région, située dos au vent, le long du chemin menant au bois. Les murs ont été montés avec des pierres ramassées dans les champs (cliquarts*) ou extraites des carrières de la région. Les angles et l'entourage des ouvertures sont chaînés par des appareils de briques qui viennent de la tuilerie de St Sérotin, elles sont marquées d'un R dans un triangle. L'ensemble est lié avec un mélange de sable de Brannay et de chaux. Seules les briques sont apparentes. Les enduits sont "beurrés" ou à "pierres vues" laissant apparaître les parties proéminentes des pierres. Le toit est en tuiles de bourgogne fabriquées comme les briques avec l'argile de la région. A l'origine elle comprenait comme la plupart des maisons rurales :
- une salle à feu et à four
- une cave sous la salle
- une chambre à feu
- une grange attenante à la chambre
- un grenier au dessus des deux pièces et de la grange d'un seul tenant recouvert de tuiles de bourgogne.
- en retour d'équerre une soue à cochon recouverte de tuiles de bourgogne attenante à la grange.
- les W.C étaient dans le fond du jardin à la place de notre cabane actuelle.
Comme nous le décrit très bien Jean-Louis Beaucarnot dans son ouvrage "Entrons chez nos ancêtres", l'intérieur des maisons de nos ancêtres étaient tous semblables, comme la nôtre que nous avons baptisée : "La mare aux aulnes", car à l'entrée, de très grands aulnes se mirent dans la mare.
Les Cartereau ont vécu 40 ans ans dans cette maison, je les imagine après avoir monté deux marches, entrer directement dans la cuisine, à droite de la porte, une fenêtre, à gauche une petite niche sous laquelle était fixé la pierre à évier dont l'écoulement traversait le mur pour évacuer les eaux sales directement dans le jardin.
La cheminée est adossé au mur perpendiculaire à celui de la porte d'entrée, elle est en brique, son manteau en bois est abaissé aux proportions du foyer.
Au fond de la pièce se tenait le lit de la grand-mère
Contrairement aux maisons du hameau beaucoup plus anciennes, qui sont très basses de plafond, celle-ci de la fin du 19e a ses deux pièces assez hautes, près de trois mètres avec de hautes fenêtres côté sud, deux dans la chambre, une dans la salle.
Les cheminées dépassent du fait du toit de la hauteur de 21 briques ce qui fait que le tirage est excellent, le premier étage faisant à peu près trois mètres plus les trois mètres du rez-de-chaussée.
Faisons l'inventaire du foyer :
1° une crémaillère
2° une plaque à feu
3° une pelle à feu et une pincette maintenues dans des crochets scellés dans la brique
4° le four installé au fond de la cheminée
5° une marmite à feu
6° une poele à chataignes, nombreuses dans le bois de la Grande Borne à deux pas.
7° une boîte à sel que la chaleur du foyer préservait de l'humidité
8° une balance romaine à crochet pouvant peser jusqu'à 12 kg.
9° une poche à eau en cuivre
Pour s'éclairer Maurice utilisait des bougeoirs et deux lampes à pétrole, l'une en cuivre l'autre en bronze et verre, une lampe tempête transportable très pratique pour aller chercher le cidre à la cave les soirs d'hiver et une lampe Pijon, commode et moderne puisqu'elle fut inventée un an avant la construction de la maison, le tout sur le manteau de la cheminée à portée de mains. A quelle date fut électrifié le hameau ?
Pour se chauffer, Maurice n'allait pas loin pour trouver son bois, sa famille étant aussi propriétaire de nombreuses parcelles dans le Bois de la Grande Borne.
Un placard est creusé dans l'épaisseur du mur.
Un dressoir où sont rangés assiettes, tasses et verres servant tous les jours
Accrochés aux poutres divers paniers
Sur des étagères, des terrines et pots en grès, le vinaigrier, le moulin à café en bois dont peut-être le fils aîné tournait la manivelle en le bloquant fermement entre ses genoux. (Dans les années cinquante je revois mon père moudre le café de cette façon), la cafetière en métal peint ainsi que des pichets, un pot à lait en métal que les enfants prenaient pour rapporter le lait de la ferme voisine et un pichet émaillé équipé d'un couvercle à trous qui évitait le débordement du lait qui bouillait.
Pauline utilisait les fers à repasser, qu'elle
faisait chauffer sur les braises ou celui constitué d'une réserve
dans laquelle elle plaçait des charbons sortis du feu. (Je me souviens très de ma grand-mère Elise repassant avec ces fe
rs qu'elle plaçait sur la cuisinière à charbon, je les ai encore).
Passons dans la chambre, sa superficie est de 25 m2, je pense que toute la famille pouvait y dormir, elle est chauffée par une grande cheminée en pierre sur laquelle trône une pendule dont la sonnerie rythme les heures. Son coffre est en noyer et son balancier en cuivre ainsi que les deux anneaux placés de chaque côté dans deux têtes de lion. Les chiffres sont écrits à l'anglaise sur un cadran blanc émaillé. Le nom du fabricant est effacé mais on peut lire encore la ville de Paris.
Le sol des deux pièces est constitué d'épaisses tomettes octogonales.
J'ai rencontré récemment les descendantes d'Emile qui ont vécu dans la maison avant la restauration. Elles me racontaient qu'ils avaient fait installé l'électricité qu'en 1965. Bien sûr il n'y avait pas de sanitaire ni d'eau en 1993.
Un jardin anglais
La maison a été construite en 1885 sur une parcelle qui fut déboisée. A l'époque, dessiner un jardin n'était pas une priorité dans le milieu rural.
C'était donc à son origine, un terrain d'environ 5000 m2 occupé par une mare de 15 x 7 m2 .
En 1993, les marchands de biens ont morcelé le terrain en trois lots, notre jardin a maintenant une surface de 1000 m2
Nous avons voulu conserver l'esprit anglais de ce jardin tel que nous l'avons trouvé en 2002.
Bien sûr, nous avons abattu quelques arbres qui devenaient gênants, mais nous avons créé un potager fleuri en carrés, construit une cabane de jardin et une petite terrasse en briques à l'ombre du grand poirier où nous pouvons profiter de sa fraîcheur l'été.
On y trouve aussi des roses anciennes et des plantes vivaces dont des delphiniums, géraniums vivaces, iris, sauges, euphorbes, euchères, hostas, bergénias, plantes aquatiques... le tout articulé dans différentes "chambres" et rythmé par des éléments comme une pergola, potager, verger, mare, coin forêt...
Je retrouve parmi les fleurs, celles qui étaient dans le jardin de ma grand-mère et dont elle était si fière, entre autres, les eucheras qu'elle connaissait seulement sous le nom de "désespoir de peintre", les fuchsias, les oeillets mignadises si parfumés, les bergenias qui bordaient l'allée comme chez nous.
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*cliquarts : Calcaire grossier se présentant en couche et utilisé comme pierre à bâtir